Au début, il ne s'agissait que d'une banale manip du biologiste marin, qui avait demandé des volontaires pendant le repas de midi, vantant une sortie difficile et chiante.
Habile, le Juju, habile! Aussi sec , 5 volontaires se déchiraient pour les 2 places proposées, et Juju, grand seigneur, laissait venir les 5.
Effectivement, au vu des 500 kgs de matériel chargés sur le MUSKEG, ça allait être chiant et difficile. Mais bon, qu'est ce que t'aurais fait toi?
Avec Juju, quand t'as dit oui une fois....
Il s'agissait donc d'aller au trou de pêche (installation pérenne de technologie polaire certifiée) où vient nous saluer régulièrement un phoque de Weddel affublé d'un surnom ridicule (n'insistes pas, je suis pas une balance).
De là, s'éloigner de 30 mètres, et faire un second trou pour passer un bout et faire un trait de chalut sur le fond.
Pas dur.
Sauf qu'à DDU, faire un trou dans une cloison prend déjà 3 jours.
Alors pour un trou de 80 cms dans 1m20 de glace, faut pas prendre ta mèche à glace et ta Black et Decker chez CASTORAMA.
Ambiance bucheron avec le moteur 2 temps, rallonge désaxée, exercice à 4 genre power plate vertical (si t'appuies, ça part en toupie; si t'appuies pas, ça descend pas), même pas peur pour les pieds, et une sécurité de chez sécurité: suffit de tirer le fil de la bougie pour l'arrêter en urgence.
Ainsi fût fait, au bout d'une demi heure, les quatre officiants avaient toujours huit pieds, et le trou faisait 40 cms: l'infiltration d'eau de mer ramollit alors la glace, et l'enjeu suivant était de de pas perdre tout le bazar par le fond.
Il faut dire que les archéologues sous marin du futur auront dans cette zone une idée très précise de la technologie polaire: barre à mine, skidoo, piolet, lunettes de soleil et chenillette.
Finalement, résultat relativement extrèmement satisfaisant (avec l'accent matheysin, s'il te plaît)
Après il ne reste plus qu'a tirer un bout jusqu'à l'autre trou, 30 m plus loin.
T'as une idée pour faire ça???
Meuh non, pas à la nage, on est dans un haut lieu de la recherche scientifique française, mon cher ami, on a un ROV!
Comme les américains sur Mars, comme James CAMERON sur le TITANIC: un robot sous marin télécommandé, avec une caméra devant et derrière, une gueule de play mobil et une valise de commande comme dans Mission impossible.
Royal, le Juju commence à se la jouer James BOND, sous les regards énamourés de l'assistance, filles et garçons unis face à cette mystique alchimie de dextérité, d'élégance vestimentaire, et de pure science. Juju, quoi.
Lorsque surgit du bout de la nuit, Mike, là,là, juste dans le fond, tu le vois?
Mike est un manchot empereur passionné de science, et candidat à un poste de volontaire pour un prochain hivernage.
Son principal handicap, c'est qu'il n'a pas de bras. Pas de bras, pas de chocolat, donc Juju garde son poste.
Par contre le centre d'intérêt de la journée et des objectifs photos se détourna aussi sec du Juju déconfit vers la bestiole cabote.
Laquelle bestiole se prêtait illico à une séance photo improvisée, à désespérer des frais engagés par chacun de nous dans des téléobjectifs aussi coûteux que sensibles aux changement de température.
Photogénique, non?
La séance terminée, Mike refusait cependant de répondre à nos questions en l'absence de son attaché de presse, et traversait sans vergogne notre chantier.
On sent pourtant chez cette bête un profond regret de ne pas avoir de mains.
A des détails:
Après on a repris le boulot, passé l'orin avec le sous marin, mouillé le chalut et ses poids, tracté le chalut et ses poids, relevé le chalut. Et ses poids.
Récupéré la pêche pour analyse qualitative et quantitative (quoi et combien, si tu veux).
Puis démélé et mouillé un trémail, mis des panneaux sur les trous (fait quand même -20°), rechargé le MUSKEG et rentré pour le gouter.
C'était une belle manip.
Juju était content.